Cécifoot : pratiquer sans être aveugle, est-ce possible ?

Impossible de deviner, en feuilletant le règlement, que le cécifoot autorise la lumière du jour… mais seulement si elle reste bien cachée sous un masque noir. La Fédération Française Handisport autorise la participation de joueurs voyants lors des entraînements de cécifoot, à condition qu’ils portent un masque opaque homologué. En compétition officielle, seuls les sportifs déficients visuels sont acceptés sur le terrain, tandis que les gardiens de but peuvent être voyants ou malvoyants.

Cette organisation particulière suscite des interrogations sur l’accessibilité de la discipline et les passerelles entre joueurs voyants et non-voyants. Des clubs proposent des initiations ouvertes à tous, favorisant la découverte du jeu et la sensibilisation à la déficience visuelle.

Le cécifoot, bien plus qu’un simple football adapté

Le cécifoot n’est pas un simple clone du football classique. On est loin d’un ersatz sur terrain raccourci. C’est un sport à part entière, exigeant, encadré par des règles précises et des coutumes qui lui sont propres. Le silence règne dans les tribunes, non par manque de passion, mais parce que chaque son sur le terrain compte. Les joueurs, privés de leur vue, font du bruit du ballon et des voix de leurs partenaires leur boussole. Les fondamentaux du foot, gestion de l’espace, déplacements, réflexes, prennent ici une teinte radicalement différente, plus sensorielle, presque instinctive.

Depuis les années 1980, la Fédération française handisport structure la discipline. Elle organise des championnats, sélectionne les équipes nationales et veille à la progression du cécifoot, jusqu’aux jeux paralympiques. On ne se contente plus des instituts spécialisés : les clubs traditionnels ouvrent leurs sections, les écoles testent le format. Les équipes réunissent souvent des jeunes issus d’établissements pour déficients visuels et des footballeurs venus du circuit classique, les seconds, parfois voyants, enfilant un masque pour partager l’expérience d’un entraînement.

La France n’est pas restée en retrait : argent à Londres en 2012, titres européens à la clé, et une présence régulière au plus haut niveau. À l’approche des Jeux paralympiques de Paris, l’équipe de France se retrouve sous le feu des projecteurs, symbole d’un sport qui change de visage et attire de nouveaux adeptes. Derrière la médaille, c’est tout un état d’esprit qui se joue, entre inclusion et exigence.

Qui peut jouer au cécifoot et dans quelles conditions ?

Le cécifoot s’adresse avant tout aux personnes atteintes d’une déficience visuelle profonde ou totale. Les joueurs de champ doivent appartenir à la catégorie B1 : absence totale de perception lumineuse ou perception infime de la lumière. Pour s’assurer que chacun évolue sur un pied d’égalité, tous portent un masque occultant, qu’ils soient aveugles de naissance ou atteints d’un handicap visuel partiel.

Mais le règlement réserve aussi un rôle aux voyants : celui du gardien de but. Lui seul garde la vue intacte, véritable chef d’orchestre de la défense, il guide ses partenaires à la voix et réagit au quart de seconde. Cette mission, souvent méconnue, réclame sang-froid, anticipation et sens du collectif. Les entraîneurs et guides, postés sur la touche, sont eux aussi voyants : ils dictent la stratégie, orientent les placements, et veillent au bon déroulement du jeu.

Voici comment se répartissent les rôles :

  • Joueurs de champ : déficients visuels, masqués, classés B1.
  • Gardien : voyant, non masqué, communication permanente avec la défense.
  • Guides et entraîneurs : voyants, présents sur la touche, rôle tactique central.

La formation débute très tôt, notamment à l’Institut national des jeunes aveugles, et se poursuit dans les clubs et sections handisport. La Fédération française handisport coordonne les compétitions, du local au national, permettant à chacun, débutant ou confirmé, de progresser à son rythme. On croise sur les terrains aussi bien des jeunes, des adultes venus du foot classique que des personnes en situation de handicap visuel depuis l’enfance : le cécifoot fédère des parcours de vie très variés.

Découvrir les règles et les particularités du jeu

Le cécifoot repose sur une organisation stricte, avec des règles pensées pour garantir la sécurité et l’équité. Le terrain est plus petit qu’en football traditionnel : 40 mètres de long sur 20 de large, encadré de barrières latérales qui guident les joueurs et maintiennent le rythme. Les buts, inspirés du hockey sur gazon, sont bas et incitent aux frappes tendues et précises.

L’équipe aligne cinq joueurs : quatre de champ, déficients visuels et masqués, plus un gardien voyant. La communication, ici, n’est pas un accessoire mais l’ossature du jeu. Le ballon, équipé de grelots, fournit le repère sonore indispensable. Avant chaque intervention, l’attaquant doit annoncer sa présence d’un “voy” sonore, contraction de “je vais”, pour alerter adversaires et arbitres.

Pour mieux saisir le cadre, voici quelques repères :

  • Durée du match : 2 x 20 minutes, avec une pause de dix minutes.
  • Buts : 3 mètres sur 2, plus bas qu’en football à onze.
  • Nombre de remplaçants : jusqu’à cinq par équipe.

Impossible de jouer la carte individuelle : la discipline exige une cohésion rare. Le silence des spectateurs permet d’entendre le ballon et les consignes du guide placé derrière la cage adverse. Chaque action devient alors une affaire d’écoute et d’anticipation, où toucher et ouïe prennent le relais de la vue, et où la stratégie l’emporte sur la simple vitesse.

Groupe de jeunes jouant au football en intérieur

Pratiquer le cécifoot : bénéfices, témoignages et ressources pour se lancer

Le cécifoot ne se résume pas à la compétition ou à la chasse aux trophées : il s’ouvre à tous, sans exigence de niveau, et valorise l’inclusion avant tout. À Saint-Mandé, pionnier du cécifoot français, la section accueille chaque semaine des joueurs très divers. Julien Zelela, pilier du club de Bondy, décrit chaque séance comme “un moment pour retrouver le goût du jeu, la cohésion, l’intensité d’une équipe où chacun compte”.

Les apports dépassent largement le cadre sportif : meilleure motricité, confiance retrouvée, repères spatiaux renforcés. Pour les plus jeunes, c’est un espace où la différence se dissout dans l’envie de jouer, encadrés par des éducateurs formés au handicap visuel. Le matériel, longtemps difficile d’accès, se démocratise grâce à des dispositifs innovants comme OrCam MyEye, qui propose une assistance visuelle adaptée.

Voici quelques ressources et exemples concrets pour découvrir ou approfondir la pratique :

  • Saint-Mandé : club historique, stages d’initiation accessibles tout au long de l’année
  • Bondy : compétitions nationales, accompagnement pour les débutants
  • OrCam : soutien matériel, ateliers de découverte

La Fédération française handisport dénombre aujourd’hui plus de trente clubs où tester ou pratiquer le cécifoot. L’élan s’appuie sur les témoignages des joueurs : à l’exemple d’un international français, finaliste à Tokyo, qui résume ainsi son expérience : “Le cécifoot donne une force inattendue, il transforme la façon de voir le handicap.”

Le coup de sifflet final ne marque jamais la fin de l’aventure : sur les terrains de cécifoot, chacun découvre, masque sur les yeux ou pas, une autre idée du jeu collectif et de la confiance partagée.